Lors de la remise du PRIX ANNICK LANSMAN, la lauréate Cécile Mouvet nous a gratifié d'un discours aussi intelligent et sensible qu'émouvant. Nous ne résistons pas à le publier in extenso.
"En 2006, j’ai passé mon baccalauréat en France. J’ai eu 7/20 en Mathématiques.
Ce n’était pas une surprise, ça n’a jamais été mon truc, les mathématiques. L’arithmétique ça me mettait mal à l’aise. J’étais capable de pleurer d’impuissance en essayant de résoudre une équation.
Mon truc, c’était plutôt les mots. Combiner des lettres, jouer avec la ponctuation, jongler avec les conjugaisons.
LIRE. LIRE. LIRE.
M’absorber dans des mondes qui m’aidaient à comprendre mon propre monde.
Aujourd’hui, je crois que c’est grâce à eux, les mots, que je me réconcilie doucement avec l’arithmétique.
D’abord, il y a eux : LES MOTS ADDITIONS. Les mots qui ajoutent des quantités d’amour, de courage, de rires, les – Cécile, t’es pas seule - les messages à 2h du mat’ juste pour dire « je pense à toi » - t’es capable, t’es sensible, t’es incroyable, des surpriiiiiiiises je suis là, Cécile je t’aime grand.
Il y aussi les mots qui nous diminuent – je pense que tu devrais pas, comment tu veux qu’on t’écoute coiffée comme ça ? T’es pas assez prête, c’est un peu jeune tout ça, tu sais on devient pas écrivain comme ça. LES MOTS SOUSTRACTIONS.
J’ai aussi eu à faire avec eux, LES MOTS DIVISIONS.
Ces mots qui font qu’on ne sait plus de quel côté de la barre on veut être. Ceux qui séparent, qui découpent. Les mots qui m’ont transformée en décimale.
Heureusement, j’ai aussi (re)découvert les mots qui décuplent mes forces - les bravos, je suis fier(e) de toi, les wouah, Cécile tes mots m’ont touchée, les merci d’être dans ma vie. LES MOTS MULTIPLICATIONS. Ceux qui vous font sentir entier, qui vous ouvrent l’horizon en multipliant vos rêves et les ambitions.
Alors c’est sur que si vous me demandez de réciter ma table de multiplication de 9, là, tout de suite, il y a des chances pour je commence à transpirer.
Mais ce que je veux dire, c’est que grâce aux mots, ceux que j’ai lu, ceux que j’ai reçu et ceux que j’écris maintenant, j’ai moins peur de l’arithmétique. Je l’ai apprivoisée avec ma logique.
J’ai plus peur de penser en addition, j’accepte la division, je multiplie les marques d’affection, j’encaisse les soustractions. Parce que je sais qu’au final, tout ça c’est une équation qui fait qu’aujourd’hui je suis là, pour recevoir le Prix Annick Lansman, avec tout ce beau monde rassemblé autour de moi.
Alors, pour achever cette loooonnnngue métaphore filée sur les mathématiques, je voudrais faire une dernière grande équation avec vous.
Ça commence avec le chiffre 3 : Juliette (ma sœur), Fabien (mon frère) et moi.
Avant ce 3 là, il y avait un 2 : Anne, ma mère, Christophe mon père.
Avant ce 2 là, il y en a une : Jeanne -Janou ma grand-mère.
Et puis j’ajoute Charles mon amoureux, Aurélie ma meilleure amie, Jade une belle amie, Christophe mon meilleur ami, Arnaud du Théâtre du Hublot, Claudine, Bernard, Bernadette, Céline ma cousine. Dominique et Paulette. Il y en tellement d’autres, mais je suis pas sadique, je m’arrête là.
Le résultat ? C’est moi qui y croit et qui écrit.
Prendre encore le temps de remercier sincèrement la commune de Morlanwelz, Emile Lansman, et toutes les belles énergies qui se rassemblent autour du Prix Annick Lansman.
Ce prix est important, c’est grâce à lui que des jeunes auteurs et autrices comme moi peuvent se lancer dans l’écriture, c’est grâce à lui aussi que des jeunes vont peut être se mettre à lire et à jouer du théâtre.
Un prix en l’honneur aussi d’Annick Lansman qui a enseigné et qui a elle aussi probablement réconcilié des enfants avec les mots ou l’arithmétique ou les deux !
Cette année c’est Étendre ses branches sur le monde qui a eu l’honneur d’être récompensé.
Ce texte je l’ai écris en pensant fort à ma sœur, Juliette Mouvet. En m’accrochant fort aux branches de notre enfance. Il faut savoir que sans elle, je ne serais pas ce que je suis. Ce n’est pas une formule jolie. C’est vrai. C’est une femme incroyable, j’ai cherché assez d’adjectifs pour que vous compreniez l’immensité de sa place dans ma vie, sa nécessaire existence au monde. Pour tout vous dire, c’est à elle la première que j’ai envoyé le premier chapitre du texte que j’avais intitulé « Le sable doudou » et qui fait écho a un souvenir très précis entre elle et moi. Il n’est pas dans le livre, ce chapitre, il est juste suspendu entre elle et moi, comme le lien incassable des souvenirs d’enfance.
Et puis il y a lui aussi, mon petit-grand frère. Fabien Mouvet. L’homme de l’ombre, celui qui est avec toi-même si tu le ne vois pas. Celui qui prend des avions juste pour te serrer dans les bras le jour de tes 30 ans. Celui avec qui j’ai toujours la poisse quand on part en voyage tous les deux, on ne sait pas trop pourquoi.
Alors voilà, pour finir je nous souhaite, je vous souhaite, encore beaucoup d’arithmétique. Des moments additions, des émotions à multiplier, des divisions à accepter, des soustractions – mais pas trop.
Merci. Bisous."
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